Lumières dans la ville


Dans L’Illustration du  19 décembre 1931, on pouvait lire ces quelques lignes : 

Et c’est ainsi que nous pouvons admirer cette année un déjeuner de Gargantua, une vision de la jungle digne de Kipling, l’arrivée du Père Noël, une campagne de pêche dans les régions arctiques, et, pour que rien ne manque à ces parades, l’une d’elles nous fait entendre un véritable orchestre. Et l’on peut voir se profiler sur le ciel noir les auteurs de cette tonitruante sérénade qu’interrompt soudain, aux éclats de rire des petits et des grands, un potée d’eau lancée d’une mansarde

Ce spectacle urbain était devenu depuis le milieu des années 1920 une tradition annuelle, multi-générationnelle, attirant la foule à la nuit tombée. Il engendra également une émulation entre les grands magasins parisiens qui cherchèrent chacun le dispositif le plus impressionnant afin de bâtir leur réputation, ou du moins leur image de marque. Cigognes apportant des jouets, Hercule ou Gulliver, furent quelques-uns de ces tableaux lumineux qui marquèrent le plus les esprits. La presse témoigne de cet engouement, dont le principal promoteur fut Fernand Jacopozzi, reconnu pour ses talents par l’octroi du titre de commandeur de la légion d’honneur en 1932. Surnommé « le Magicien de la Lumière », il s’était déjà fait remarqué à diverses reprises et est représentatif d’une génération de jeunes électriciens-publicitaires qui contribuèrent à « spectaculariser » la rue par un usage original de l’électricité. 

Étude de l’œuvre :

Dans un contexte où l’expression « architecture of the night », forgée en 1930 par l’architecte américain Raymond Hood, commençait à se diffuser, une nouvelle réflexion sur lelien entre architecture et électricité émergea en Europe, encouragée par le développement de la publicité lumineuse durant ces années. En 1927 déjà, Walter Kurt Behrendt avait évoqué les possibilités offertes par la lumière électrique en architecture et avait remarqué que son exploitation n’en était encore qu’à ses débuts. Jusque-là, seule la publicité lumineuse avait réussi à utiliser effectivement cette nouvelle liberté. Pour illustrer ses observations, il utilisait un des immeubles des Luckardt brothersà Berlin et y traitait la publicité comme un nouveau problème formel. De même, l’architecte Hugo Häring fut l’un des premiers à définir le potentiel architectural de la publicité lumineuse, dès 1927. Il prédisait notamment que dans un proche avenir, l’apparence nocturne des édifices serait plus importante que le visage diurne : « Advertising is about to replace the architecture ». Il saluait ainsi la destruction de l’architecture à travers l’avènement de la publicité lumineuse. 

            Les décorations de Noël des grands magasins s’inscrivaient architecturalement dans ce vaste mouvement, tout en s’en démarquant : alors que l’électricité commençait à se banaliser, entre leurs mains, elle prolongea encore quelques années son caractère magique et merveilleux, d’autant que Noël constituait la période la plus propice pour la célébration de ce merveilleux. Ces dispositifs nous sont bien connus aujourd’hui, tant par la presse de vulgarisation comme La Nature, concentrée sur les mécanismes d’animation, que par la presse généraliste comme L’Illustration, sensible aux mutations éphémères du paysage urbain, ou par la presse spécialisée, comme L’Affiche. Cette variété des points de vue témoigne de la curiosité suscitée par ces dispositifs dont les enjeux dépassent la simple question esthétique : les sommes engagées par les magasins pour surprendre leur public nous donnent un indice des enjeux financiers induits par l’attraction des acheteurs potentiels. Cette circulation médiatique, entretenue par des schémas et des descriptions, contribua également à la renommée des grands magasins. 

Bibliographie indicative

  • Cabantous Alain, Walter François, Noël, une si longue histoire…, Paris, Payot, 2016
  • Neumann Dietrich, Architecture of the Night. The illuminated building, Munich, Prestel, 2002.
  • Sabatés Fabien, Jacopozzi, le Magicien de la lumière, Frédéric Douin éditions, 2017.
  • Lien de l’article original : https://habitville.hypotheses.org/tag/jacopozzi

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